CoFaber n’est pas parti bien loin pour cet entretien. C’est en effet à Plaintel (22) dans les Côtes-d’Armor que je suis allé interviewer en fin de journée M. Lionel Moretto, gérant de MetaFer, peu après son retour de voyage professionnel d’Abou Dabi. Cette entreprise s’est spécialisée en métallerie d’art et en ferronnerie depuis sa reprise en 2005. Elle connaît aujourd’hui une croissance soutenue, avec notamment un développement d’activité en région parisienne.
M. Moretto, fils de ferronnier en restauration du patrimoine, nous détaille dans cet entretien les multiples activités de son entreprise et nous fait partager avec passion son métier à travers les diverses réalisations de MetaFer.
Lionel Moretto : « Chacun de nous œuvrons humblement mais avec passion à restaurer les ouvrages d’art pour leur faire traverser les siècles. Seuls l’apprentissage, la pratique, le respect et la transmission des savoir-faire permettront de faire disparaître notre action de restauration sur ces ouvrages. »
CoFaber : Pouvez-vous nous présenter l’historique de MetaFer ? J’ai vu que vous êtes actuellement en pleine période de recrutement…
Lionel Moretto : Nous avons actuellement deux structures. À Plaintel (22), un atelier œuvrant dans la métallerie d’art et à Plaine-Haute (22), un atelier en ferronnerie. Effectivement, on recherche des personnes en fabrication et en pose, mais aussi une équipe de poseurs et un conducteur de travaux sur Paris pour m’aider au vu de l’augmentation des commandes.
Pour en revenir à l’entreprise… je suis fils de ferronnier en restauration du patrimoine ; j’ai travaillé durant quinze ans à Paris dans cette activité en partie en même temps que je faisais mes études. J’ai connu la Bretagne à l’âge de cinq ans, en même temps que j’ai attrapé le virus de la forge d’ailleurs. J’ai voulu retourner en Bretagne pour y vivre à cause du cadre de vie. D’abord salarié de Metafer pendant deux ans, j’ai proposé à mon prédécesseur de lui racheter l’entreprise, chose faite le 5 septembre 2005.
C’était alors une entreprise qui était sur une activité moyenne voire bas de gamme, plus industrielle qu’artisanale. Nous étions 4 personnes en 2005 et nous sommes maintenant 27 répartis sur deux sites proches, 24 à Plaintel (22) et 3 seulement à Plaine-Haute (22) pour l’instant.
On vient essentiellement nous chercher pour des projets non conventionnels, car on sait bien sûr réaliser des ouvrages basics, mais nous privilégions les projets où notre savoir-faire et notre créativité valorisent l’intérêt de nos clients par l’originalité de nos créations.
Escaliers intérieurs et garde-corps par MetaFer
C : Pouvez-vous nous décrire vos deux activités principales, la métallerie et la ferronnerie ?
LM : La métallerie d’art regroupe plusieurs métiers. C’est une activité à la fois de serrurier – sachant que la serrurerie, c’est la protection des biens et des personnes – qui regroupe la fabrication et la pose de portail, de clôture, de porte d’entrée, etc. ; de chaudronnier pour le repoussage, le roulage, la découpe, etc. ; vient ensuite la miroiterie dès qu’on touche au verre, pour par exemple les vérandas, les jardins d’hiver, les marquises, l’ameublement, etc. ; mais aussi le métier de charpente métallique pour les terrasses, les carports, etc. Nous utilisons toutes ces compétences toujours dans le cadre d’un projet de création artistique.
Quant à la ferronnerie, encore basée à Plaintel (22) jusqu’en avril 2019, elle a ceci de particulier qu’il est très long d’y être reconnu, surtout la ferronnerie du patrimoine. En 2017, nous avons gagné la qualification « Monuments Historiques » que seuls 16 entreprises possèdent en France. Depuis cette reconnaissance, nous avons beaucoup développé cette activité ces deux dernières années, de plus en plus sur Paris et en Ile-de-France.
Restauration d'un garde-corps pour l'hôtel particulier du 16 place Vendôme à Paris
Je peux de la même façon que pour la métallerie vous citer trois ou quatre métiers pour la ferronnerie. Il y a d’abord la ferronnerie du patrimoine, qui est vraiment un métier à part entière où on restaure ou refait à l’identique une pièce classée patrimoine historique qui a été endommagée, avec les techniques d’assemblage anciennes ; puis la forge de style qui consiste à recréer une pièce de style ancien mais cette fois avec des techniques d’assemblage modernes comme la soudure à l’arc ou au TIG (Tungsten Inert Gas) ; ensuite on a la forge contemporaine où on crée le style de demain, du moins je l’espère ; et enfin la dinanderie, travail du cuivre et du laiton à l’aide de techniques de ciselage et de repoussage, qui se trouve être une forte activité pour nous, du fait de la rareté des dinandiers en France, surtout dans le domaine de la restauration du patrimoine. La dinanderie est un métier complémentaire à la ferronnerie. Dernièrement, on a par exemple restauré le Mémorial de la Shoah à Paris et les nymphes du Pont Alexandre III, ou encore réalisé des ouvrages pour des designers…
Art de la dinanderie : réalisation d'un lustre pour le designer Hubert le Gall. La dinanderie est née dans la ville de Dinant, en Belgique.
Ces compétences-là, je les ai apprises avec mon père depuis l’âge de douze ans et aujourd’hui c’est un savoir-faire que j’enseigne à mes collaborateurs. Peu de gens, en fait, connaissent réellement l’étendue des activités de métallerie et de ferronnerie. Certains pensent encore que le terme « serrurerie » concerne juste les serrures, alors que cela ne représente même pas 1% de cette activité puisque c’est vraiment « la protection des biens et des corps ». Nous avons en fait une gamme d’ouvrages très large.
Verrières et escalier
C : Avez-vous un bureau d’études ?
LM : On a un bureau d’études avec trois personnes. On est vraiment très structurés parce qu’on crée et on suit nos projets. Nous avons plus de 300 modèles déposés à l’INPI (Institut National de la Propriété Industrielle).
C : Comment avez-vous recruté vos collaborateurs jusqu’à présent ?
LM : Nous les avons formés à nos métiers. Certains étaient déjà du métier et d’autres pas du tout. Entre 2014 et 2019, nous avons comptabilisé plus de 10 000 heures de formation au sein de l’entreprise. Nous avons énormément investi dans les compétences du personnel car je me suis rendu compte que le métier s’est énormément appauvri et que c’est très compliqué de trouver des personnes déjà compétentes. Maintenant, je recherche plus des personnes qui ont de l’expérience pour compléter les équipes car en parallèle de mon activité, nous avons avec un confrère créé une école qui va bientôt ouvrir ses portes, la Maison du Forgeron à Saint-Thélo (22).
« Nous avons formé [des collaborateurs] à nos métiers. Certains étaient déjà du métier et d’autres pas du tout. »
C : Vous étiez en voyage professionnel dernièrement ?
LM : J’étais à Abou Dhabi. Cela fait huit ans que je traîne mes guêtres dans les réseaux à l’international car maintenant on a les compétences et la structure pour cela. Il y a déjà pas mal d’ouvrages qu’on a réalisés qui sont partis à l’étranger.
C : Vous cherchez absolument à vendre votre savoir-faire en dehors de la France ? c’est une question de prestige ?
LM : Être à l’international est effectivement une question de prestige, mais c’est très coûteux et dangereux. J’ai voulu depuis le début faire de l’international car beaucoup de pays nous envient notre savoir-faire. La seule chose, c’est qu’un projet à l’international, il faut le préparer. Jusqu’en 2014, nous nous étions cantonnés à la Bretagne. Ensuite c’était Paris, mais pas avant d’avoir eu la structure et un process irréprochable car si jamais il y a une erreur de fabrication, de conception, de pose, de prise de côtes ou autre, cela coûterait très cher. Cela signifierait qu’il faille effectuer plusieurs heures de déplacement en camion pour réparer peut-être une bricole d’une heure de travail.
Réaliser des projets situés à grande distance demande une rigueur extrême et donc d’avoir en interne l’organisation adéquate. Maintenant que nous avons cette organisation, on a pu passer à des chantiers d’envergure sur Paris, qui sont de l’ordre de plusieurs dizaines puis plusieurs centaines de milliers d’euros. Il fallait monter progressivement dans cette organisation-là pour que je puisse valider le fait d’aller à l’international.
C : Quels sont vos canaux d’acquisition de clients ? les appels d’offre ?
LM : Nous répondons de moins en moins aux appels d’offre tant que les communes poursuivront leur politique du moins-disant. Je n’ai pas envie de passer mon temps à servir de lièvre sur la région Bretagne, surtout que nous sommes une entreprise qui crée, donc à chaque fois les gens pourraient s’inspirer de nos idées tout en choisissant une autre entreprise qui facture moins cher. Nous répondons à certains appels d’offre uniquement quand on connaît bien les architectes et quand on est confiant vis-à-vis de la commune.
Actuellement, nous travaillons à 60% - 65% pour des particuliers. Le marché des particuliers est très important pour nous car il stimule notre créativité et constitue aussi un meilleur contact client et moins de formalités.
Nous sommes sur plusieurs réseaux dont par exemple l’EPV (Entreprise du Patrimoine Vivant) ou le GMH (Groupement des Monuments Historiques), et c’est parfois par ce biais que nos clients nous appellent. Il y a aussi, entre-autres, le prestigieux Salon du Patrimoine au Carrousel du Louvre à Paris que je fais tous les ans et où je rencontre des gens qui viennent de la France entière et qui ont des projets un peu partout, salon que je suis heureux de refaire pour la 3ème année fin octobre.
Grilles en ferronnerie et laiton pour le salon de thé de l'hôtel Scribe à Paris
C : Dans ces conditions, est-ce que vous pensez un jour ouvrir de nouvelles agences ?
LM : Non ! Nous sommes déjà 27 personnes réparties sur deux sites et j’essaye d’être partout. C’est le nom de l’entreprise et ma crédibilité qui sont en jeu et je dois veiller à rester dans l’excellence. Par contre, je suis à la recherche d’une équipe de pose avec un conducteur de travaux sur Paris pour m’aider. J’avais estimé faire 15% à 20% de mon chiffre en trois ans en 2014, mais en fait on est à plus de 50% aujourd’hui ! C’est parti très vite et il faut donc faire très attention.
C : Quel est le savoir-faire le plus recherché dans votre activité ? la chose que seuls les meilleurs savent faire ?
LM : Dans le métier de la métallerie, c’est la conception, c’est de savoir imaginer les pièces et créer des œuvres. Pour la ferronnerie, il ne s’agit pas juste de savoir taper sur de la ferraille, il faut avoir une culture du patrimoine, beaucoup de notions en Histoire et même une passion pour l’Histoire.
Quand on a la chance de restaurer une partie du Pont Alexandre III ou prochainement l’hôtel particulier au 16 place Vendôme, on se doit – et c’est même un plaisir – de faire des recherches historiques très poussées, que l’on transcrit à la fin de nos opérations dans un DOE (Document d’Ouvrage Exécuté) afin de ne laisser aucune trace dans l’avenir.
En forge du patrimoine, quand on doit reproduire une pièce abîmée ou détruite, on s’efface pour donner l’impression que l’ouvrage a toujours été là. On utilise des techniques apprises, d’assemblages, de forges, d’usure et de vieillissement des ouvrages pour cela. On n’est plus dans la création. Moi, je suis né dedans, c’est ce que m’a enseigné mon père pendant plus de quinze ans.
« En forge du patrimoine, quand on doit reproduire une pièce abîmée ou détruite, on s’efface pour donner l’impression que l’ouvrage a toujours été là. […] Moi, je suis né dedans, c’est ce que m’a enseigné mon père pendant plus de quinze ans. ».
Portail de l'église de Bulat-Pestivien (22), refait par MetaFer en 2016 à partir de recherches historiques. MetaFer a retrouvé la facture datant de 1920 et des cartes postales. L'espace entre les deux piles conçu à l'origine pour le passage de corbillards à cheval était devenu trop étroit pour laisser passer les voitures motorisées. Les piles avaient donc été écartées et le portail d'origine a disparu dans les années 40.
C : Quels sont les métaux que vous utilisez le plus souvent ?
LM : Je n’utilise pas d’alu et très peu d’inox. L’alu, c’est trop industriel, et l’inox est pour moi un matériau « faute de ». La matière la plus importante pour nous, c’est l’acier, vient ensuite le Corten avec sa couleur oxydée que je travaille énormément et que j’ai moi-même développé en Bretagne. Personne ne voulait l’utiliser avant ou l’utilisait mal. Nous utilisons aussi le cuivre et le laiton et enfin le fer pur pour la ferronnerie du patrimoine, qui coûte terriblement cher.
C : Peut-on parler de MetaFer comme d’une entreprise unique, sur la région Bretagne en tous cas ?
LM : En fait, beaucoup d’entreprises ont des compétences similaires aux nôtres, mais de vraies compétences uniquement dans un ou deux métiers. Nous sommes très peu à avoir des compétences multidisciplinaires et à viser l’excellence.
C : Si on excepte la partie reproduction et restauration, y a-t-il toujours un travail de création dans ce que vous faites ou bien vous réalisez aussi des ouvrages standards ?
LM : Il n’y a jamais de standard dans ce qu’on fait. Même les escaliers, il n’y en a jamais deux qui se ressemblent. De plus, nos conceptions sont de plus en plus complexes, ce qui fait que la prise de côtes conventionnelle et le dessin en 2D deviennent insuffisants. On adopte pour cela le dessin 3D, c’est une nouvelle ère pour l’entreprise.
Restauration des Nymphes de la Néva du pont Alexandre III
C : Avec quels autres corps de métiers êtes-vous amenés à travailler ?
LM : On se coordonne avec une grande variété de corps de métiers : des maçons, des électriciens pour les motorisations, des plaquistes et des paysagistes. Nous avons travaillé récemment avec un menuisier agenceur pour le restaurant Paris-Brest à Rennes. Si par exemple on réalise un élément de toiture, on va naturellement travailler de concert avec le zingueur ou le couvreur. On fait à chaque fois une préconception du projet qu’on remet au client qui inclut plusieurs interfaces avec d’autres métiers.
C : Avez-vous un style préféré ?
LM : Il y a deux périodes que j’adore : la période Art Nouveau, en fin du XIXème et du début du XXème siècle, et la période Art Déco qui est venue ensuite. Pour moi, Hector Guimard, c’est le summum. Il a été capable de créer un lien visuel entre les différents corps de métier, entre la ferronnerie, la menuiserie, le béton, la mosaïque, la pierre de lave… avec des conceptions en trois dimensions. C’est lui qui a créé les bouches de métro parisiens en utilisant la fonte, c’est un peu l’industrialisation de l’art, la répétition d’éléments très travaillés. J’aurais adoré travailler à cette douce époque…
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