Martin Louviot a lancé son entreprise de techniciens cordistes Alp’AD (prononcer « Alpade ») en avril 2015. Installée à Saint-Rémy-de-Maurienne (73) en Savoie, Alp’AD s’est spécialisée dans les travaux d’accès difficile, la sécurisation contre les chutes en hauteur et autres travaux à risques sur sites industriels.
CoFaber a souhaité en savoir plus sur ce métier à cheval entre BTP et alpinisme. Quand fait-on appel à un cordiste et quelle est la réglementation qui encadre les interventions de travaux en accès difficile ? Au cours de cet entretien, M. Louviot nous apporte un éclairage sur ce métier très particulier.
CoFaber : Quel est votre métier et en quoi consiste-t-il ?
Martin Louviot : Les gens ont l’habitude de dire « cordiste », mais je préfère « technicien cordiste » car notre métier comporte beaucoup d’aspects techniques. On dit aussi parfois, un peu abusivement, « alpiniste ». À l’origine, c’étaient des alpinistes et des spéléologues qui réalisaient certaines interventions dangereuses de manière plus sécurisée grâce à leur savoir-faire. Ils ont progressivement été sollicités pour ce genre de travaux, par exemple pour des ravalements de façades complets, ce qui diminuait fortement les coûts liés à la mise en place d’échafaudages.
Ces trente dernières années, de nombreuses entreprises ont été créées et parallèlement, le métier s’est réellement professionnalisé, devenant de plus en plus encadré. Les formations spécialisées, l’utilisation d’un matériel propre au métier, différent de celui utilisé pour le loisir, la réglementation stricte, l’émergence d’organismes dédiés aux travaux sur cordes sont des exemples concrets de cette professionnalisation.
Pour des raisons évidentes de sécurité, on ne peut plus dire qu’on prend des cordistes parce que c’est moins coûteux que des échafaudages, nacelles, ou autres moyens de protection collective. En effet, les techniciens cordistes utilisent des équipements de protection individuelle (EPI) de catégorie 3 protégeant efficacement des dangers mortels ou pouvant entraîner des lésions irréversibles – le recours à cette classe d’EPI est toutefois déconseillé lorsque des protections collectives sont suffisantes.
Dans le même temps, de plus en plus d’interventions complexes et lourdes à gérer – impliquant de nombreux techniciens sur le même chantier, une gestion de la coactivité, des formations complémentaires obligatoires ou encore des habilitations et qualifications requises par les clients pour intervenir – sont confiées aux entreprises de travaux sur cordes. Nous ne pouvons intervenir que sur un temps limité et nous devons justifier la nécessité de travailler avec des cordes.
Contrôle des parois d’un silo et réparation de la structure
Extrait du Code du travail, Article R4323-64
«
Il est interdit d'utiliser les techniques d'accès et de positionnement au moyen de cordes pour constituer un poste de travail.
Toutefois, en cas d'impossibilité technique de recourir à un équipement assurant la protection collective des travailleurs ou lorsque l'évaluation du risque établit que l'installation ou la mise en œuvre d'un tel équipement est susceptible d'exposer des travailleurs à un risque supérieur à celui résultant de l'utilisation des techniques d'accès ou de positionnement au moyen de cordes, celles-ci peuvent être utilisées pour des travaux temporaires en hauteur.
»
Les meilleurs cordistes sont certes des personnes qui ont des aptitudes physiques, mais qui ne sont pas forcément des alpinistes ou des spéléologues aguerris. Ce sont de plus en plus des professionnels du milieu du bâtiment et de l’industrie qui sont amenés à se servir de cordes pour exercer leur métier dans des endroits à accès limité. Cela nécessite une double compétence.
Intervention d’inspection sur conduit de cheminée avec masque respiratoire
C : Quels sont les métiers du bâtiment qu’on retrouve le plus chez les techniciens cordistes ?
ML : Les soudeurs sont très recherchés, puis les maçons, les peintres et les zingueurs, et de plus en plus, les charpentiers. Ces derniers deviennent cordistes pour gagner en sécurité lorsqu’ils travaillent, parce qu’ils sont conscients qu’il existe des formations professionnelles spécifiques à ce métier.
Parfois, ils vont même jusqu’à délaisser leur profession initiale pour développer leurs compétences de cordiste. Nous avons un atout par rapport aux autres métiers : la diversité des chantiers et des lieux d‘intervention.
Reprise de maçonnerie et sécurisation de la façade d’un immeuble
C : Quelles sont les prestations les plus courantes d’Alp’AD ?
ML : Nous faisons beaucoup de sécurisation provisoire et définitive contre les chutes en hauteur. Suivant la configuration du lieu, cela va consister à mettre en place des filets, des lignes de vie, des escaliers, des échelles à crinoline, des passerelles, etc. Il faut être capable de mettre en place un accès sécurisé alternatif pour ne pas avoir à monter une structure de taille qui ne serait pas économiquement viable pour l’usage ponctuel qui en est fait. On permet ainsi à la fois aux techniciens de maintenance sur un site industriel et aux artisans du bâtiment de pouvoir travailler en toute sécurité.
Une autre facette du métier consiste à réaliser des travaux d’accès difficile en milieu aérien et confiné. Nous sommes capables de travailler sous une charpente ou dans un silo, là où une nacelle ne peut pas passer pour changer des luminaires, effectuer un contrôle visuel ou faire du nettoyage, par exemple.
Opération de nettoyage de résidus de matière dans un silo
Nous faisons aussi de l’encadrement de travaux pour gérer la sécurisation des accès et le secours. Dans notre métier, nous avons l’obligation d’organiser le secours en amont de chaque intervention. On ne peut pas se contenter d’attendre les services de secours spécialisés : nous sommes formés à intervenir, à évacuer et à sécuriser un technicien qui se retrouverait dans l’incapacité de regagner seul une zone de plain-pied à cause d’une blessure, d’un coup de chaud ou d’un problème technique.
Intervention sur site industriel, avec utilisation d’EPI (équipement de protection individuelle) spécifiques : masque à ventilation assistée, adduction d’air, détecteur multigaz
C : Concernant les travaux en accès difficile, quels sont les types de travaux que vous réalisez le plus couramment ?
ML : Cet été, nous avons nettoyé les joints de dilatation d’un barrage de plus de 500 m de large. C’est parfois de la reprise de maçonnerie sur des bâtiments pour des syndics de copropriété : traitement des bétons avec purge, sécurisation de façade et reprise en peinture. Nous effectuons aussi de la zinguerie, du remplacement de descentes d’eaux pluviales, des habillages de rives et de la pose de chéneaux. Nous faisons aussi de la recherche de fuites dans des endroits inaccessibles, là où les charpentiers s’exposeraient trop aux risques de chute, et également du déneigement d’urgence. L’essentiel de notre activité se déroule sur sites industriels. Nous travaillons souvent en sous-traitance pour de grands acteurs du bâtiment et de l’industrie, comme Léon Grosse, Actemium, Engie, etc.
« Les interventions nécessitant des techniciens cordistes sont très diverses. »
C : Quelles sont les conditions qui font qu’on peut ou qu’on doit faire appel à un technicien cordiste ?
ML : Notre profession est très réglementée. On fait appel à un technicien cordiste lorsqu’aucun autre moyen d’accès n’est adapté pour réaliser une intervention.
Nous avons pour chaque intervention une analyse comparative des risques. Par exemple, si on doit légalement statuer entre l’utilisation d’échafaudages ou de cordes, on va évaluer et comparer les durées d’exposition au risque entre le temps passé à montrer les échafaudages et celui passé sur cordes pour réaliser une intervention. Si on montre que le temps d’exposition au risque est inférieur dans le cas d’utilisation de cordes, alors on va pouvoir travailler.
Le métier de cordiste n’est pas fait pour ravaler intégralement une façade ou pour réaliser d’autres chantiers de longue durée. Dans ce cas, la loi préconise la protection collective, comme celle qui est apportée par un échafaudage. Il y a évidemment des dérogations suivant la complexité des situations et les niveaux d’urgence.
Pose de filets de protection sur l’ensemble d’une toiture instable
Pose d’un chapeau de souche pour un conduit extérieur de cheminée. Alp’AD est aussi spécialisée dans la gestion des opérations de levage.
C : Combien êtes-vous chez Alp’AD et comment les rôles sont-ils répartis ?
ML : Je suis le gérant et j’emploie un salarié, qui est quasiment toujours accompagné par un binôme intérimaire. En fonction du chantier, il peut m’arriver de faire appel à d’autres intérimaires ou à des indépendants.
Avant chaque intervention, en plus de l’analyse comparative des risques, il est de mon ressort de rédiger un mode opératoire accompagné du PPSPS (Plan Particulier de Sécurité et de Protection de la Santé) dans lequel je décris aussi la méthodologie de l’intervention à venir et de planifier les étapes de son déroulement. C’est un gros travail préparatoire.
Pour dire un mot de la coordination sur un chantier, il faut savoir qu’on travaille systématiquement en binôme au minimum et qu’on a l’obligation de garder un contact visuel permanent. Le contact radio lui aussi est quasi-permanent.
« Notre activité se déroule essentiellement sur sites industriels. »
C : Qui sont vos clients ? Pourquoi faire appel à Alp’AD plutôt qu’à une autre entreprise de cordistes ?
ML : J’ai été très peu contacté par le biais des moyens de communication traditionnels, type Pages Jaunes. Je suis surtout un homme de terrain qui va à la rencontre des gens. Typiquement, je me présente de manière spontanée chez un client potentiel à qui je propose mes compétences et mes services après les avoir détaillés. Je pose ensuite la question suivante : « On connaît vos besoins quant aux situations à risque. Est-ce que cela vous intéresserait de nous consulter lors de vos prochains projets de chantier pour que vous puissiez comparer nos méthodologies de travail avec celles des autres entreprises ? ».
Grâce à cette approche simple et transparente, j’ai pu élargir ma clientèle de façon considérable. Le bouche-à-oreille joue aussi un rôle important : les clients ou les entreprises qui ont apprécié nos méthodes de travail sont susceptibles de recommander Alp’AD dans leur cercle professionnel. Souvent, ce qui interpelle le plus les gens, c’est tout simplement de nous voir travailler, lorsque nous mettons en œuvre des montages complexes, ou que nous accédons à notre zone d’intervention de manière peu conventionnelle.
Par ailleurs, les professionnels du bâtiment prennent conscience, aujourd’hui plus qu’avant, que le risque de chute est réel et très souvent mortel. Ils font donc appel à nous plus volontiers puisque la communication sur ce risque s’est bien développée, notamment via l’OPPBTP (Organisme Professionnel de Prévention du BTP), et que le métier a atteint un véritable standard de professionnalisation.
« Les professionnels du bâtiment prennent conscience, aujourd’hui plus qu’avant, que le risque de chute est réel et très souvent mortel. »
Quand il nous arrive de « retourner au sol » avec des entreprises de travaux « classiques », on est souvent plus efficaces parce qu’on laisse très peu de place à l’improvisation. On cherche à éliminer au maximum les impondérables à travers une préparation méthodique de nos interventions, qui s’accompagnent toutes d’un mode opératoire précis.
On ne peut pas se permettre de faire des allers-retours : tout le matériel est préparé et fixé au bon endroit, la coordination entre les intervenants est précise et rédigée dans les détails. Il nous est arrivé d’écrire des procédures à la minute près quand il le fallait, afin de ne pas risquer de retarder la remise en service d’une grosse installation. Nous avons ainsi réalisé des travaux de bardage ou d’étanchéité sur des chantiers qui ne nous sont pas destinés a priori, mais pour lesquels nous avons été choisis pour la raison que je viens d’évoquer.
C : Quel est votre rayon géographique d’intervention ?
ML : Nous travaillons essentiellement en région Auvergne-Rhône-Alpes, c’est déjà une zone très vaste. Il nous est arrivé de travailler plus loin, comme en région parisienne pour un centre pénitentiaire, chez Safran à Villacoublay (78) ou pour des inspections d’ouvrages d’art dans le Vaucluse (84).
Nettoyage des joints de dilatation sur le barrage EDF de Bissorte
C : Quel a été votre parcours ?
ML : J’ai passé un Bac S, puis j’ai fait le choix d’un métier manuel, car j’ai toujours aimé ça. Au lycée déjà, j’étais en section sportive escalade. Je suis en fait venu en Savoie pour cela, étant originaire de Nancy.
J’ai appris le métier de la corde sur le terrain. J’avais en effet commencé dans une entreprise qui recrutait des profils de guides et de personnes venant du milieu de l’escalade pour du montage de via ferrata et de parcs aventure. Je suis arrivé petit à petit vers l’industrie, et c’est à ce moment que j’ai commencé à avoir une vue d’ensemble des diverses facettes du métier, avant de monter ma société.
Je me déplace beaucoup, car c’est un métier dans lequel il faut être proche de ses clients et partenaires. Il faut donc pouvoir disposer d’une certaine liberté, et savoir ne pas toujours compter son temps. L’important est qu’à la fin de la journée, à la fin de l’intervention, tout le monde soit satisfait du travail accompli en toute sécurité !
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